Entretien avec Luke James – avril 2017
Propos recueillis par Catherine Bordenave
Interview de Luke James, lauréat de l'appel à projet pour la résidence production- diffusion 2017 à l'Espace d'Art Contemporain du Bel Ordinaire
Luke James se joue à redéfinir des espaces par le biais d’interventions visant à perturber notre rapport physique aux lieux. En confrontant des matériaux au cœur d’une architecture, son geste invite dès lors à de nouvelles potentialités de perception. Au BO, ses pièces vont dialoguer avec celles d’Elvia Teotski autour de problématiques qu’ils partagent.
CB : Pour évoquer ta démarche, tu parles d’opérations sculpturales qui font conjointement référence aux notions de geste et de temps. Comment envisages-tu ces deux aspects ?
LJ : Je pars du principe que l’un ne va pas sans l’autre dans le travail parce que chaque matériau avec lequel je crée a déjà un certain degré d’expérience, une première vie. Au BO, je vais travailler avec des poutres en chêne récupérés dans la région et avec du plomb qui s’altère dans le temps, mais qui dure. Il y aura aussi des objets en terre cuite donc résistants dans le temps. Un travail in-situ comme ici implique de fait un dérangement, un transfert physique dans un espace temps donné et ce sont entre autres ces notions de temps et d’expérience que viendra interroger le projet avec Elvia.
CB : Ton travail entretient des liens étroits avec l’architecture en particulier dans son rapport à l’activité humaine. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette approche de l’espace ?
LJ : Effectivement, ce n’est pas l’aspect technique qui m’intéresse en premier lieu, mais plutôt l’aspect sensoriel et ce qu’un corps peut ressentir dans un espace. Personnellement, c’est toujours la question que je me pose face à un espace. Ensuite vient la question de comment bouleverser, soit le corps, soit la vision du spectateur. Dernièrement, j’ai pas mal travaillé le verre autour de la question de comment regarder un espace ou une pièce à travers une vitre. Ce sont des questions qui viennent dans le prolongement des lectures de Walter Benjamin ou de Henry David Thoreau et qui interrogent le fait de regarder un paysage à travers un objet.
CB : Parmi tes références, tu cites volontiers des influences philosophiques et notamment la notion de "self reliance". En quoi ces concepts nourrissent-ils ta pratique?
LJ : Les premières lectures qui m’ont questionné sur le rapport au quotidien et au hiérarchique, mais aussi à l’urbain et à l’économie sont les ouvrages de Henry David Thoreau. J’ai approfondi cette réflexion avec Société et Solitude de
En effet, la question du Do It Yourself est assez primordiale pour moi et je me questionne beaucoup sur la technicité dans la sculpture. Ça a été très formateur de travailler tôt avec des artisans et des artistes. C’est une source de culture et d’expériences vitales selon moi. Ce qui m’intéresse, c’est aussi de
Ralph Waldo Emerson qui évoque le terme de Self-Reliance que j’aime à traduire de
mon point de vue d’artiste par autonomie, solitude et confiance en soi. J’ai également lu beaucoup de philosophes pragmatiques, des poètes comme Pessoa ou Perec et des révolutionnaires anarchistes tel que Kropotkine. La question politique se pose dans mon travail, mais elle n’est pas
frontale et on met en œuvre une certaine poésie pour soulever des problématiques autrement.
CB : Au regard de ton intérêt pour le pragmatique et l’expérience dans ton parcours, comment
abordes-tu la question de la technicité dans ton œuvre
?
LJ : En effet, la question du Do It Yourself est assez primordiale pour moi et je me questionne beaucoup sur la technicité dans la sculpture. Ça a été très formateur de travailler tôt avec des artisans et des artistes. C’est une source de culture et d’expériences vitales selon moi. Ce qui m’intéresse, c’est aussi de m’interroger sur la façon de présenter un projet et les discussions qui en découlent.
fois des questionnements autour des savoir-faire techniques et des matériaux, mais aussi sur ce qu’est
un objet d’art.
dans l’action.
Ça
fait partie d’une démarche d’entraide telle que la Self-Reliance envisage la solidarité.
CB : Dans l’optique de l’exposition commune qui t’es proposée ici avec Elvia Teotski, comment
envisages-tu de faire cohabiter vos pratiques
?
LJ : Les démarches vont communiquer au premier abord par les matériaux. Avec Elvia, on a deux corps de travail différents, mais pour autant il y a une géométrie qui se crée. Elle travaille autour du végétal, moi
avec des matériaux de construction, mais ça se complète et ça vit ensemble. Par exemple, elle a récupéré des substrats de champignons qui ont la forme de briques en paille et qui résonnent forcément avec mon travail par l’évocation de matériaux du bâtiment. On se rejoint donc aussi sur l’idée de récupération et de symbolisme des objets comme l’évoque le titre de l’exposition. Mais l’imaginaire
qu’on est en train de mettre en place sera aussi le fruit de l’expérience qu’on aura vécue à Pau, c’est un
autre point commun dans nos pratiques.